Par Yann Guesdon – Dans l’estuaire de la Rance, les pêcheurs de Saint-Suliac utilisaient un type de canot à cul pointu propulsé à l’aide d’avirons très particuliers, ou d’une voile au tiers. Avec ce bateau, appelé chippe, ils pêchaient le lançon à la senne, à partir des bancs de sable de la rivière ou de la baie de Saint-Malo. Disparue dans les années 1940, la chippe est revenue en. Rance, grâce à la construction de Maria, réplique d’une unité de 1910.

La chippe est un petit canot d’origine probablement ancienne, bien adapté à la petite pêche en milieu protégé. Pointu aux deux extrémités, rond de brion pour être plus évolutif, doté d’un faible tirant d’eau et facile à mener aux avirons grâce à son déplacement léger, ce fut pendant longtemps le bateau idéal pour pêcher le lançon à la senne le long des plages et des bancs de sable autour de Saint-Suliac, un petit village de la rive droite de la Rance.

A notre connaissance, il est fait mention pour la première fois de la chippe dans le Mémoire sur les pêches locales de Port-Malo et havres environnants, daté de l’an III de la République (1794-1795). On peut y lire: « On fait usage de la seinne dans la rivière de Rance et dans toutes les criques où le sol est plat et uni, ou encore sur un espace proportionnel à la grandeur du filet, avec un petit bateau plat nommé chippe. On rapporte sur le rivage les deux bouts de la seinne et ce qui s’y trouve enfermé est le fruit du travail du pêcheur. On ne prend ordinairement avec ce filet que du poisson de petite et de moyenne grandeur, les grands poissons ne s’approchant pas si près des côtes. »

L’auteur ajoute que si les besoins de la Marine militaire doivent passer avant tous les autres la période est dominée par la guerre révolutionnaire, il serait néanmoins bénéfique d’encourager la pêche locale: « Les bateaux pêcheurs ne doivent occuper que deux espèces d’hommes, les invalides et les novices. Parmi les invalides, il faut choisir de préférence de vieux marins qui ont été continuellement occupés dans la navigation de Grande pêche. On ne peut leur présenter, pour prix de leurs services, une récompense plus flatteuse qu’une chippe et une seinne qui, en les faisant vivre à l’aise, leur procurera encore le moyen d’être utiles à la patrie… »

La référence officielle à la chippe semble disparaître au milieu du XIXe siècle des registres de l’administration des Douanes. Bien que bon nombre d’unités ayant les mêmes caractéristiques, construites aux chantiers de La Landriais, soient enregistrées, mais sous la référence « bateau », la mention « chippe » ne réapparaît que vers 1890 au chapitre « Les patrons et les équipages », dans les archives de l’Inscription maritime de Saint-Malo.

Dans son ouvrage sur Saint-Suliac et ses traditions, publié en 1861, Elvire de Cerny écrit: « Chaque marée voit une soixantaine de barques déployer leurs voiles au vent en descendant la Rance à l’embouchure de laquelle ils jettent leurs filets. » Ce chiffre est à prendre avec précaution car, s’il s’agissait uniquement de chippes (ce qui n’est pas précisé), cela ferait un total d’environ trois cents pêcheurs de lançon ou lançonniers, comme on les appelle, ce qui est très excessif. Il n’est pas certain non plus que la ressource halieutique ait pu suffire à armer autant de bateaux!

Plus réaliste, Albert Bourdas mentionne en 1894, dans un guide sur Saint-Malo, que la pêche au lançon, monopolisée par Saint-Suliac, compte en tout une dizaine de chippes armées chacune par cinq pêcheurs. En outre, l’examen des nombreuses cartes postales du début du XXe siècle nous indique clairement la présence d’une demi-douzaine de chippes sur la grève de Saint-Suliac, ce qui corrobore la liste des constructions effectuées entre 1893 et 1933 dans les chantiers de la Rance et qui s’élève à une douzaine d’unités.

Le bateau de prédilection pour pêcher le lançon à la seune

Armées par des équipages de cinq hommes, dont le patron, les chippes ont, jusque dans les années 1930, surtout pratiqué la pêche du lançon à la seune (senne), grand filet droit en coton à mailles décroissantes (voir plan, page 29 en bas). « La seune était faite légèrement en tranches d’orange, se souvient Aimé Lefeuvre, avec des mailles de différentes tailles, se resserrant vers le fond (le cul) de 25 millimètres aux extrémités à 3 millimètres au centre. Elle mesurait environ 60 mètres pour une hauteur de 3 mètres dans les ailes et 7 à 8 mètres au milieu. Ce n’était pas la peine de la faire plus grande, car une fois mouillée, il fallait la tirer… et avec la pente du banc de sable, ce n’était pas facile ! La ralingue du haut était garnie de flottes en liège, avec au centre un fléchon qui nous indiquait le milieu du filet. Un peu plus longue, la ralingue du bas était lestée de galets percés de la grosseur de deux poings, qu’on appelait les beurrières. On préférait ça aux plombs, car si elle crochait dans des cailloux, on pouvait la dégager plus facilement. Selon la qualité des fonds, on en mettait plus ou moins; il ne fallait surtout pas qu’elle s’embanche (s’ensable) ! » Les ralingues en chanvre de 15 à 18 millimètres de diamètre aboutissaient à deux pattes-d’oie appelées brieux, sur lesquelles étaient frappés les bouts, filins permettant de ramener la senne sur le rivage.

La pêche à la senne se pratique à marée descendante. Arrivée sur un banc de sable, la chippe y laisse un homme, le cordier, chargé de tenir l’extrémité d’un des bouts. Puis le bateau repart, les pêcheurs souquant ferme pour décrire un large cercle tout en mettant le filet à l’eau. Revenus s’échouer sur le banc à quelque distance de leur compagnon, les hommes débarquent avec le second filin, l’un d’entre eux allant rapidement aider le cordier. Les deux équipes halent alors progressivement mais de toutes leurs forces sur les bouts, tout en se rapprochant l’une de l’autre pour que le fond du filet forme une poche; car « si ça avait été éparpillé, il n’y aurait plus eu moyen de le cueillir, le lançon se serait embranché aussitôt! »

© coll Cercle nautique suliaçais, section chippe

Une fois les prises concentrées dans le cul de la senne, celle-ci est maintenue à flot par les pêcheurs, de l’eau jusqu’à mi-cuisse, l’un d’eux la soutenant à partir du bateau. Le mousse ouvre alors la trappe de la bourriche, sorte de grand vivier en osier pouvant être remorqué, et la remplit de lançon à l’aide d’une seille (écope) en bois. « Un bon trait pouvait remplir la bourriche, rappelle Aimé, c’est-à-dire pas loin de 200 kilos de lançon. Mais c’était rare, la plupart du temps, il fallait faire deux ou trois traits supplémentaires pour la remplir. »

A la fin de la pêche, la senne est simplement pliée dans le fond du bateau, la bourriche amarrée solidement en cul ; puis les petits fonds sont écopés et, si le vent est favorable, le mât est dressé et la misaine établie, pour un retour tranquille assuré ! Les chippes utilisent toujours le courant pour se déplacer. Au départ de Saint-Suliac, appareillant au début du baissant, elles empruntent le lit de la rivière, et font de même au retour avec le montant. Mais si la marée est contraire, elles empruntent les r’tours, langues de contre-courants portant dans le sens inverse du flux, et très sensibles le long des berges. Aimé Lefeuvre se souvient que pendant la guerre, partant pêcher le maquereau aux avirons, il avait littéralement laissé sur place un vapeur en empruntant les r’tours : « Y poussait d’la flotte mais n’avançait pas. Faut dire qu’à Cancaval, en marée, y avait 8 nœuds de courant ! »

© Yann Guesdon

Par mauvais temps, les chippes rejoignent les bancs de Rance. « Le plus proche était celui de la pointe du Puits, où on pêchait souvent la nuit. Puis, avant d’arriver à l’île aux Moines, sous Saint-Jouan, il y avait le banc des Vaches, du beau sable formé par le retour de courant quand la mer descendait. Vers le bas Quelmer, il y avait le banc de Chevret, en face de l’île du même nom, puis en descendant vers Saint-Servan, le banc de Bizeux et celui de Solidor, qui fermait presque entièrement l’anse. Tous ces bancs ont disparu avec le barrage*… » Pendant la belle saison, par beau temps, les lançonniers sortent en baie et font leurs traits sur le banc des Pourceaux, le banc d’Harbour et jusqu’à celui de Cézembre, en face de la cale : « Celui qu’arrivait là pouvait charger d’un coup! » précise Aimé.

La vente à la poignée se fait sans voler personne

Après avoir pêché, les chippes rejoignent au plus vite les cales de l’estuaire pour la vente. Durant la saison touristique, certaines rallient la cale de Dinan, à Saint-Malo, ou celle du Bec-de-la-Vallée, à Dinard, pour approvisionner les restaurants. D’autres accostent la cale de Jouvente, de la Passagère ou de La Landriais. Les matelots y débarquent avec leur panier en osier rempli de quatre seilles de poisson (représentant environ 15 kilos), recouvert d’un tapeux, morceau de sac à patates ou de vieux ciré faisant office de couvercle pour empêcher les lançons de s’échapper. Ils s’en vont de maison en ferme vendre leurs lançons frétillants en criant « A la lichette! » ou « Au lançon frais, en faut-y du beau lançon! »

La vente se fait à la poignée, sans voler personne; deux poignées font une livre, sans oublier deux ou trois poissons en plus pour la satisfaction de la ménagère ! Les pêcheurs peuvent aller jusqu’à Plouër, parcourant ainsi une bonne dizaine de kilomètres; là, le patron les attend à la cale du Port-Saint-Jean pour remonter sur Saint-Suliac. Quand les marées sont tardives, les patrons laissent canots et bourriches mouillés à la cale Solidor, à Saint-Servan, sous la surveillance d’une connaissance, ce qui, le lendemain, oblige les matelots à partir à pied de Saint-Suliac vers 2 ou 3 heures du matin, pour aller vendre leur pêche de la veille aux alentours de Saint-Servan.

Le mousse part en milieu de matinée avec les pouchouneilles (petits sacs remis par les femmes, contenant les victuailles des matelots pour la journée) que le patron remet à son équipage une fois regagné le bord pour repartir en pêche. « Quand ils avaient du grand lançon, raconte André Roussel, ils le vendaient aux patrons de bisquines de Cancale, qui venaient en char à bancs à la cale Solidor. Ça leur servait à boëtter leurs cordes leurs lignes de fond pour prendre de la roussette, des raies ou des plies. Ils en achetaient pas mal, ce qui arrangeait les lançonniers, car ça faisait toujours ça de moins à vendre. »

© coll Cercle nautique suliaçais, section chippe

Les équipages des chippes pêchent aussi au casier, quand la saison du lançon est terminée. « Les gars connaissaient tous les coins, se rappelle Aimé. Ils mouillaient leurs casiers devant chaque trou pour prendre du homard ou des poings-clos (dormeurs); mais ça donnait peu en plein hiver, les crabes s’ensablaient et les homards restaient dans leurs trous. Et puis y avait pas de marées! C’était pour approvisionner les restaurants de Saint-Malo.

Nous, on n’en mangeait pas souvent. Des fois quand même, quand les crabes étaient en mauvais état, on mangeait les mordaches, c’est-à-dire les grosses pinces. » Les équipages débordent aussi avec des sennes plus robustes sur des bancs plutôt vaseux ou graveleux, tel celui du Néril en face de la cale de Saint-Suliac, pour prendre du mulet, de la plie ou de la sole, selon la même technique que pour le lançon. Certains, enfin, tendent des trémails d’une centaine de mètres de long pour pêcher de l’orphie, du chinchard, du maquereau ou du bar.

Un poisson bien vif, d’eau et de sable

Recueillie par Eugène Herpin à la fin du XIXe siècle, la légende du lançon laisse entendre qu’en l’an de grâce 418, saint-Jacut accosta dans son auge de pierre près de la presqu’île de Lan-Douar, aujourd’hui Saint-Jacut. Il n’y rencontra que des habitants armés de lances et avides de guerres et de pillages. Un jour, au bord de la grève, il leur prêcha que pour accéder au paradis, il leur fallait quitter leurs lances et embrasser une existence paisible et laborieuse. Convaincus par le saint, ils firent tournoyer leurs armes et les lancèrent vers la mer. Elles allèrent toutes se piquer dans le sable, faisant jaillir un éclair qui sembla se multiplier à l’infini en une multitude de petites lances brillantes qui disparurent rapidement. Le saint leur dit alors: « Descendez sur la grève et reprenez vos lances. Le lançon est né de vos lances, et désormais ces lances, fouillant les sables d’or, ne vous serviront plus qu’à les pêcher. »

De la famille des Ammodytidés, le lançon vit en bancs sur les fonds sableux, se rapprochant des côtes pour se reproduire entre avril et août. On le pêche alors en grande quantité en Rance et dans la baie de Saint-Malo. Son corps effilé et très allongé, et sa tête pointue favorisent sa disparition rapide dans le sable à l’approche d’un danger. La femelle passe autant de temps enfouie qu’en nage libre et pond, à marée basse, de 10000 à 30 000 œufs. Deux sortes de lançons sont pêchées dans la région malouine. D’une part, le grand lançon commun pouvant atteindre 35 cm appelé verdier au printemps et orbrune en été à cause de sa couleur changeante, qui se nourrit de sprat et de petite sardine (la m’nuse). D’autre part, le petit lançon, ou lançon équille, plus répandu, ne dépassant pas les 20 cm. Le cauchemar des lançonniers était le jolivet, bleu-vert et parfois violacé, qui, fragile, mourait rapidement une fois capturé, provoquant une forte mortalité parmi les autres espèces auxquelles il était mélangé. En revanche, il était très apprécié des pêcheurs de bar et de maquereau de ligne à la traîne, si on prenait la précaution de le conserver vivant, à part dans un petit vivier.

Un métier pour les anciens et les réformés de Terre-Neuve

L’équipage est rémunéré à la part: une pour le bateau, une pour le patron, une pour chaque matelot, une demie pour le mousse et à partir des années trente une pour le moteur. Le produit de la vente journalière est remis chaque jour au patron. Celui-ci réunit ses hommes le dimanche matin dans un bistrot, après la messe, et distribue la part de chacun, accompagnée d’un mic (moitié café, moitié lambic). Il est d’usage que l’équipage remette sa tourn’ de vin ou d’cit (tournée de vin ou de cidre).

Ce métier est alors pratiqué la plupart du temps par d’anciens Terre-Neuvas ayant gagné leurs « invalides » ou réformés de la Grande pêche, ce qui leur procure un petit revenu supplémentaire. Ils embarquent aussi de jeunes mousses qui ont besoin de dix-huit mois de navigation pour pouvoir être inscrits maritimes. « Ça les débourrait et leur montrait ce qu’était l’travail! » ajoute Aimé, sans complaisance, qui fit sa première campagne à Terre-Neuve à seize ans sur le trois-mâts Saint Yvonnec, puis sur le Notre-Dame de Soccori des Armements français et coloniaux, et ensuite sur le quatre-mâts Izarra de l’armement Legasse de Bayonne.

La chippe Maria (SM 3891) construite en 1910 chez Auguste Lemarchand. © coll Cercle nautique suliaçais, section chippe

Comme beaucoup de petites communautés maritimes de Bretagne Nord, les lançonniers de Saint-Suliac n’ont pas de vêtements de travail spécifiques. « C’étaient les mêmes que les paysans et les ouvriers, des bleus, une veste, un pantalon et un paletot, se souvient Aimé. Beaucoup de femmes étaient couturières, elles avaient appris ça à l’école; c’étaient elles qui cousaient les bleus et aussi nos cirés. On les passait dans l’huile de lin à 40 degrés, on laissait tremper et on les égouttait au-dessus de la pelle, une grande bassine en cuivre qui servait à faire la bouillie et à soutirer le cidre. Autrefois, les marins portaient des sabots-bottes dont la toile était passée au black, mais très rapidement ils ont adopté des bottes ou des cuissardes. Ils ne portaient pas de couvre-chef particulier, mais des bérets ou la casquette. »

Dans les années 1930, les chippes ont été équipées de petits moteurs Baudouin de 3 chevaux. Cette mécanisation permet aux équipages de rejoindre les bancs sans efforts, mais elle est surtout appréciée pour évacuer l’eau d’égouttage de la senne ou les embruns, les canots en embarquant beaucoup du fait de leur faible franc-bord.

Après plusieurs années d’absence, une nouvelle chippe navigue sur la Rance

Constructeur réputé, Louis Lemarchand confia voici une trentaine d’années à son ami Jean Le Bot la totalité des archives rescapées d’un incendie qui ravagea le chantier familial en 1917. Parmi celles-ci figurait le dessin de la chippe Maria, construite en 1910 à La Landriais, fourni par l’armateur de Saint-Suliac Joseph Montcany. C’est à partir de ce document que Jean Le Bot a retracé le plan hors-bordé du bateau. Selon ce dernier, « la réplique de Maria bénéficie ainsi d’une garantie d’authenticité unique pour une unité de cette importance ».

La commande de la réplique de Maria est passée aux chantiers navals Alain Leclerc de Saint-Malo, en octobre 1990. Le 12 janvier suivant, les membres du Cercle nautique suliaçais et sa section « chippe » se retrouvent pour la traditionnelle pose de la quille avec fixation de l’étrave et de l’étambot. Le bordé est en place en février, le calfatage et la peinture terminés en mai. Et la fière unité peut être livrée à ses commanditaires un mois avant la mise à l’eau officielle, prévue au 15 août!

Maria (3891 SM), la réplique, est un très joli canot d’une longueur de 5,37 mètres pour 1,99 mètre au maître-bau. Sa quille sans différence, son tirant d’eau très faible et son déplacement assez léger (700 kilos) en font un bateau pratique pour la navigation dans l’estuaire de la Rance. La charpente axiale quille, étrave, brion, étambot ainsi que les courbes et les varangues chantournées sont en chêne. Les membrures ployées sont en acacia. Les bordages des fonds quant à eux sont en orme, y compris le bordage d’échouage, légèrement saillant sur la longueur du bouchain, alors que ceux des œuvres mortes sont en chêne.

Le croquis de chippe remis par Joseph Montcany à François Lemarchand en 1910, à partir duquel Jean Le Bot a tracé le plan de la nouvelle Maria.

 

le patron Joseph Montcany (à la barre) et Jules Roussel, photographiés à bord de la Maria (probablement), en 1914 devant Saint-Suliac. © coll Cercle nautique suliaçais, section chippe

Le bateau est entièrement ceinturé par un sommier à barbettes ainsi nommé car il forme de part et d’autre, en haut et à l’extérieur de l’étrave, deux petits encorbellements, par un plat-bord et, partiellement, par la serre des bancs et l’oreiller. Trois bancs délimitent l’espace intérieur. Celui de l’avant, qui sert d’étambrai au mât, et celui du milieu sont réservés aux hommes de nage. Le banc arrière, creux sur toute sa longueur, sert d’évacuation à la petite pompe à piston en bois fabriquée par Aimé. Sur l’avant, un petit pontage placé juste en dessous du sommier et une cloison délimitent un petit coqueron, bien pratique pour abriter les affaires et les provisions de l’équipage. Il n’y a pas de banc pour le barreur, qui s’assied directement sur la lisse. Le plancher à deux niveaux est réalisé en sapin, le gouvernail est en chêne.

Un mât, une drisse, une écoute, une misaine et des Amblons

Les vents dominants en Manche ne sont pas toujours des vents d’bout, comme le précise un dicton local, surtout pour les chippes, qui ne pratiquent que des routes orientées Nord-Sud ou Sud-Nord. Aussi, ces petits bateaux portent-ils fièrement le type de gréement le plus simple et le plus efficace qui soit: un mât, une drisse, une écoute, une voile au tiers. C’est facile à mettre en place quand le vent est favorable, et à déposer pour progresser aux hamblons (avirons) dans le cas contraire.

La chippe Maria, seconde du nom, en cours de construction. © coll Chasse-Marée

 

Puis à la cale de Saint-Suliac pour embarquer la senne. © Michel Thersiquel

 

Et enfin regagnant la plage à l’aide des l’amblons type d’aviron bien particulier pivotant sur un tolet unique, après avoir mis le filet à l’eau. © Michel Thersiquel

Calé dans le banc avant par un solide collier métallique, le mât en sapin rouge, long de 6,30 mètres, présente une légère quête vers l’arrière. Il est percé en tête d’un simple trou pour passer la drisse. Transfilée sur la vergue longue de 3,70 mètres, la misaine a une surface de 14,80 mètres carrés. Elle est taillée en coton blanc à l’origine, en laizes de coton cachou n° 10 et dotée de trois bandes de ris. La voile se borde avec une écoute simple, de chaque bord; frappées au point d’écoute, elles sont simplement passées sous la serre des bancs.

L’autre mode de propulsion, loin de rebuter les équipages, souvent constitués d’anciens dorissiers rompus à ce genre d’exercice, est l’aviron, plus précisément le hamblon, de 3 mètres de longueur, assemblage d’un aviron classique et d’un fort massif en frêne muni d’une poignée. De section méplate, ce massif contribue à améliorer l’équilibre de l’aviron; il est percé d’un trou destiné au passage d’un tolet unique en fer fiché dans une toletière du plat-bord. Des systèmes approchants se retrouvent sur les curraghs irlandais et bon nombre d’embarcations de Galice et du Portugal. On l’observe aussi sur un senneur de plage à extrémités symétriques de la côte Sud de l’Angleterre, le lerret de Chesil Bank. Cette disposition permettait autrefois aux pêcheurs de lâcher leurs hamblons pour travailler sans crainte de les voir filer à l’eau. Certains en lestaient les extrémités pour mieux les équilibrer.

Un lancement bien réussi pour que la fête soit belle!

A « Saint-Su », on sait faire la fête et on peut compter sur tout le monde! Pensez donc, pendant la pose des gabarits, les violoneux répétaient déjà leurs ritournelles, les Suliaçaises ressortaient coiffes et costumes d’antan, les porteurs de maquettes étaient choisis, les fameux ânes retenus et tous les voiliers traditionnels de la Côte d’Emeraude invités. Tout cela en prévision du jour du lancement! Vingt et une commissions regroupant cent soixante Suliaçais ont été créées pour que la fête soit belle. Pas mal pour un petit canot! Et belle, elle le fut! Plus de cent cinquante personnes ont participé aux différents défilés, sept groupes de musiciens et de chanteurs, trois groupes de danseurs, sans oublier les jeux traditionnels sur la grève, qui passionnaient tant jeunes et anciens Suliaçais au temps des régates de la Belle Epoque.

Croisant devant la cale, les voiliers traditionnels du pays étaient au rendez-vous, parés de leurs plus belles voilures pour recevoir leur bénédiction annuelle par le prieur de Saint-Suliac, Yves Perraul. Pavoisée de neuf, bénie au cidre de Rance, Maria démontra sans peine pendant tout l’après-midi son étonnante facilité d’évolution sous voile, admirée par des milliers de spectateurs massés sur les quais et dégustant… des lançons grillés, bien entendu! Ils pouvaient être fiers, les membres de la section chippe, d’avoir organisé une authentique et populaire fête maritime, et confiants pour le devenir de leur bateau, résolument tourné vers la jeune génération suliaçaise.

© Michel Thersiquel

Remerciements: aux membres de la section chippe du Cercle nautique suliaçais, J. Pétry (t), A. Lefeuvre, J. Le Bot, Y. Perrin, L. Varin, R. Dufresne, Y. de Nardi, E-X. Perrin, J.-M. Germaine, G. Fesaix et J.-P. Briand. Ainsi qu’à André Roussel et son, épouse, tous deux anciens lançonniers.

Source: Aimé Lefeuvre et Julien Pétry, La Chippe de Saint-Suliac, éd. Danclau, 1990.

* Le barrage abritant la centrale marémotrice mise en service en 1965 – qui produit de l’électricité sans aucun rejet ni déchet – a profondément modifié l’écosystème de l’estuaire a provoqué son envasement.

 

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