L’écologue américaine Ellen Pikitch évoque avec nous les conclusions de l’étude sur les aires marines protégées chinoises dont elle est l’une des autrices. Si les Nations-Unies n’en recensaient que quinze, plus de trois cents ont ici été identifiées et analysées.

À l’heure où les négociations sont en cours au sein de l’organisation des Nations-Unies (ONU) pour décider si l’objectif de transformer 10 pour cent des eaux territoriales de chaque nation en aires marines protégées (AMP) doit être relevé à 30 pour cent en 2030, la revue Science Advances publiait en novembre une étude recensant les AMP en Chine, l’un des plus grands consommateurs de poissons au monde, pays par ailleurs doté d’une grande façade maritime, riche en habitats divers et en biodiversité.

Surprise : si jusque-là, la Chine faisait office de « mauvais élève » dans la création d’AMP au sein des instances internationales, avec seulement 15 aires marines répertoriées à l’ONU, les chercheurs en biologie marine américains et chinois en ont identifié en effet 273 dans la zone économique exclusive chinoise et au-delà, dotées de différents niveaux de protection, représentant au total près de 4,5 pour cent des habitats marins et côtiers du pays. Ce chiffre reste encore loin de l’objectif de 10 pour cent et des efforts d’autres nations comme la France par exemple, dont 33 pour cent des habitats marins et côtiers sont protégés au sein de quelque 565 AMP.

« Depuis près de soixante ans, il existe cependant une vraie tradition d’aires marines protégées en Chine. Certaines sont très locales, et c’est sans doute pour cette raison qu’on avait très peu d’informations à leur sujet, nous a précisé Ellen Pikitch, co-autrice de l’étude, spécialiste des enjeux de conservation océanique à l’École des sciences atmosphériques et marines de l’université d’État de New York à Stony Brook. Il y a huit ans, à l’occasion d’un atelier sur les pêcheries en Chine, mes collègues et moi-même avons découvert des AMP dont nous n’avions jamais entendu parler, et ça nous a intrigués. Depuis, nous avons fait de nombreuses recherches, croisant les sources, discutant avec les agences sur place, et travaillant sur toute la documentation scientifique que nous pouvions trouver. Ce travail de recensement, le premier en son genre, reste malgré tout encore incomplet… »

On a recensé en Chine 273 aires marines protégées, avec des niveaux de protection divers, et 53 zones de conservation halieutique abritant des zones de reproduction ou des habitats d’espèces exploitées commercialement. © source : Science Advances

En plus des 273 AMP, les scientifiques ont identifié 53 zones de conservation halieutique, dont le rôle premier n’est pas la protection de la biodiversité, mais la préservation d’une zone de reproduction ou de l’habitat d’espèces rares ou en danger exploitées commercialement. « Certaines de ces réserves incluent cependant des objectifs de maintien de la biodiversité proches des AMP, ajoute Ellen Pikitch, même si le but n’est pas purement écologique, mais économique. » Au total, en comptant ces réserves, 12,98 pour cent des habitats marins et côtiers chinois sont soumis à des mesures de protection. « Le degré de protection est aussi relativement élevé : 27 762 kilomètres carrés, soit 68,37 pour cent des AMP, sont des réserves où tout prélèvement de ressource est interdit. »

Les différentes AMP et les zones de conservation halieutique ont été réparties en trois groupes : les habitats en zone peu profonde (moins de 10 mètres), ceux qui se situent entre 10 et 50 mètres de fond et ceux du large, au-delà des 50 mètres. Les premiers sont plutôt bien protégés, principalement sous forme d’AMP, et ciblent, entre autres, limules ou « crabes fer à cheval », dauphins blancs de Chine, coraux, mangroves, herbiers sous-marins… Les chercheurs déplorent cependant que le fort degré de protection concerne surtout les habitats tropicaux et subtropicaux, et moins les zones tempérées, pourtant importantes pour leur forte production de phytoplanctons.

Intégrer pêcheurs et populations locales

Entre 10 et 50 mètres, profondeurs dans lesquelles les espèces ciblées par la protection sont, principalement, les tortues, les anémones de mer, certains coquillages, oiseaux et poissons comme l’esturgeon, les autorités ont privilégié les réserves de conservation halieutique, avec des restrictions moins fortes, expliquent encore les scientifiques : ce sont pourtant les zones où la concentration en chlorophylle-a, témoin de la productivité primaire, est la plus conséquente.

Quant aux habitats en eaux profondes, ils bénéficient d’une moindre protection, « alors qu’il y a des écosystèmes spécifiques très importants pour la biodiversité, notamment dans les canyons et les monts sous-marins, par exemple au Sud de Taïwan, et au large du Shandong, ajoute Ellen Pikitch. Mais c’est en soi assez classique : plus c’est loin des côtes, plus c’est difficile et coûteux d’établir une protection. Sans oublier la dimension politique, car c’est au large que les bateaux vont pêcher.

« La Chine travaille actuellement sur l’extension de sa politique de conservation : nous espérons qu’elle se tournera d’abord vers ces régions où le niveau de protection reste bas. Il faudra aussi travailler sur le relèvement du niveau de protection dans les autres aires marines car même si sur le papier, c’est une AMP, si des engins de pêche trop peu sélectifs sont autorisés, cela n’aura que très peu d’effets positifs sur la biodiversité. »

Ellen Pikitch est convaincue de l’efficacité des AMP pour la restauration et le maintien de la biodiversité, même si elles peuvent être très critiquées – certaines n’existeraient que sur le papier, ou auraient parfois un rôle essentiellement touristique, au détriment des populations locales, pêcheurs en tête. Pour la chercheuse, le problème réside plutôt dans la manière dont elles sont gérées. Dans un article publié en septembre 2021 dans la revue Science, un groupe de 43 chercheurs en conservation et biologie marine – dont elle faisait partie – présentait un « Guide des aires marines protégées », soulignant l’importance de ne pas « faire la course au pourcentage » mais de mettre en place, par étapes bien définies, des AMP avec un niveau de protection suffisamment important pour que les impacts soient réels. Ils précisaient cependant que la création d’une amp doit toujours se faire en intégrant les populations locales dans le processus de décision, notamment celles qui, traditionnellement, prélèvent la ressource et pourraient éventuellement pâtir d’une interdiction de pénétrer dans une zone. Elle citait aussi l’exemple de l’AMP de la baie de Mnazi, en Tanzanie, où les usagers de la ressources ont été exclus, des populations déplacées et dépossédées de leurs terres, faisant croître l’insécurité alimentaire, dans un climat de colère et d’humiliation.

« Ce genre d’AMP dessert complètement l’objectif, mais il est important de poursuivre l’effort, ajoute Ellen Pikitch, parce que, bien gérées et réfléchies, les amp ont un réel impact sur la biodiversité en leur sein, mais aussi en-dehors de leurs limites. »  M. L.-C.