
En 2001, Amyr Klink, explorateur, aventurier et écrivain brésilien né en 1955, boucle un tour de l’Antarctique en équipage en 76 jours avec sa nouvelle goélette en aluminium de 28 mètres, Paratii 2, aujourd’hui Forel. Un record pour le Brésilien qui a alors déjà plusieurs exploits à son actif : en 1985, il est le premier à traverser l’Atlantique Sud à la rame, entre la Namibie et Salvador de Bahia – soit 3 700 kilomètres en cent jours ! En 1990, il boucle un tour du monde en solitaire, du pôle Sud au pôle Nord, en 642 jours, dont sept mois passés bloqué dans les glaces de l’Antarctique à bord de Paratii, un sloup de 15 mètres en aluminium qu’il a conçu et construit entre 1986 et 1989 avec l’aide de l’architecte brésilien Roberto Barros.
De retour au Brésil, il imagine le grand frère de Paratii qui serait destiné à un tour de l’Antarctique en équipage. À cette époque, la goélette Antarctica (aujourd’hui Tara, lire p. 70) fait parler d’elle, et il se tourne alors vers ses architectes, Luc Bouvet et Olivier Petit. Paratii 2, doté d’un gréement à balestron, fera 28 mètres de long et 8,06 mètres de large, et entre 75 et 110 tonnes, sans aucun lest, la stabilité étant assurée par les formes de la coque. L’idée est aussi que le bateau, doté d’une dérive, puisse s’échouer aisément, afin d’aller explorer les « endroits les moins profonds, qui sont aussi les plus intéressants », souligne Amyr.

N’ayant pas suffisamment d’argent, Amyr achète un terrain dans l’arrière-pays de São Paulo, au milieu d’une favela, et passe un accord avec un constructeur, Équipe Thierry Stump : moyennant des coûts de main-d’œuvre peu élevés, il lui donnera le chantier une fois la goélette mise à l’eau. Afin de réduire les dépenses, ils construisent leurs propres machines et répondent à d’autres commandes. Ils enseignent la soudure aux habitants des favelas intéressés. Le chantier, démarré en 1994, durera huit ans, et Amyr en profitera pour repartir à bord de Paratii en 1999 pour une première circumnavigation de l’Antarctique en solitaire, sur la route la plus courte, bouclée en 88 jours.
Hommage au pionnier de la limnologie
Paratii 2 est mis à l’eau en 2000 et, après le tour de l’Antarctique en équipage, il devient le voilier des vacances familiales ; il retournera plusieurs fois en Antarctique. « La première fois, c’était en 2006, j’avais huit ans, précise sa fille Tamara, née en 1997, elle-même navigatrice et architecte navale, diplômée de l’ensa Nantes. J’ai de très bons souvenirs de ces vacances, on avait un canoë et un Optimist à bord. » Ces premières expériences formatrices nourriront une traversée de l’Atlantique en solitaire à 24 ans et un hivernage au Groenland à bord de son monocoque Sardinia.
Après ses navigations polaires, Paratii 2 longe les côtes brésiliennes pour divers projets, dont certains sont scientifiques comme lorsqu’il accueille des plongeurs qui vont jusqu’à 150 mètres pour faire des prélèvements d’eau, de sédiments, d’algues…
En 2022, Amyr se sépare finalement de la goélette, rebaptisée Forel par son nouvel acquéreur, l’association suisse Forel Heritage, en hommage au pionnier suisse de limnologie – science de la sédimentation dans les lacs –, François-Alphonse Forel (1841-1912). Dès son arrivée à son nouveau port d’attache, Lorient, il entre en chantier pour un an et demi afin d’être adapté à sa nouvelle vocation de navire scientifique. Les deux moteurs Mercedes de 350 chevaux sont remplacés par deux Cummins neufs de 410 chevaux, avec un système de réduction des émissions d’azote sur la ligne d’échappement – en accord avec le code polaire.

Mission au Groenland
L’arrière de Forel, jadis réservé au stockage, est réaménagé : trois laboratoires, sec, humide, et « propre » – équipé de hottes à filtration d’air –, et une plateforme sont ajoutés, avec un treuil capable d’immerger à 1 000 mètres de profondeur des instruments. La goélette est armée de capteurs pour effectuer des mesures de l’eau de surface, de la CTD Rosette (ensemble de bouteilles pour collecter l’eau à différentes profondeurs) et d’une station météo, pour « étudier le continuum Terre-Océan-Atmosphère », explique Stéphane Aebischer, directeur général.
La première mission a été menée en juin 2024 dans le cadre du programme Greenfjord qui étudie les effets du changement climatique sur les glaciers du sud du Groenland. Elle a confirmé que Forel était le bon voilier pour atteindre des zones où d’autres navires, plus imposants, ne peuvent se rendre.
Douze personnes (six scientifiques, six membres d’équipage, dont le capitaine et coordinateur maritime Baptiste Régnier) peuvent embarquer à bord. Cette année, la goélette partira pour le Québec avec des scientifiques des universités de Laval et de Chicoutimi, pour des prélèvements dans l’estuaire du Saint-Laurent et le fjord Saguenay.
À la fin du mois de juillet, l’équipage mettra le cap sur le Groenland pour y mener trois programmes dont à nouveau Greenfjord. Elle sera de retour à son port d’attache breton en septembre. Julien Girardot (texte et photos)
Publié dans Le Chasse-Marée 345, juin-juillet 2025