Il a ceux qui « font » le Maroc en quinze jours au printemps. (Un peu) plus sérieusement, ceux qui « font » l’Atlantique Nord, ceux qui « font » le Mont-Blanc… Certains se contentent de faire le tour d’eux-mêmes, ce qui n’est déjà pas mal. Étonnante – rassurante ? – cette appétence des hommes à boucler un trajet…

Je dois d’ailleurs vous avouer un certain faible pour le genre, à condition néanmoins que la flânerie l’emporte sur la performance, voire qu’elle se double d’une certaine poésie… À Marseille par exemple, voici quelques années, j’avais rencontré un homme qui s’amusait à parcourir à pied des chemins de sa création. Il avait ainsi arpenté la médiane de cette fameuse ligne de démarcation qu’évoque chaque jour la météo, « au Nord de la Loire… au Sud de la Loire… », ligne de séparation climatique qui ne suit pas vraiment celle du fleuve, et qu’il avait retracée en superposant trois cent soixante-cinq jours de cartes de la couverture nuageuse… Moins farfelu est le tour de la mer Noire en trois cargos que nous raconte Louis Baumard dans les pages qui suivent, mais l’esprit demeure. Et que dire de Nicolas Floc’h, qui a parcouru à la palme les quelque 162 kilomètres du trait de côte du Parc national des Calanques pour nous livrer des images époustouflantes ?

Alors, autant vous dire que quand Mélanie Joubert, notre iconographe, m’a fait découvrir la descente de la rivière bretonne du Trieux par Jean-Louis Le Tacon, je me suis précipité sur cette série documentaire hébergée sur le média en ligne Kub, qui présente ainsi son travail sur le site où vous pourrez le découvrir, <kubweb.media> : « Descendre le Trieux tout en filmant ce qui s’offre au fil de l’eau, un projet auquel Jean-Louis Le Tacon, né il y a plus de soixante dix ans sur les rives de ce fleuve, tenait particulièrement… s’appuyant sur une littérature de terroir quasi-centenaire [Il s’agit de Rivières bretonnes, un livre de François Menez (1887-1945), instituteur, écrivain et géographe qui y narre la descente de douze rivières bretonnes dans les années 1930, ndlr] qui lui permet de boucler des boucles, de connecter l’avant-guerre (économique), le temps des moulins et des aquarelles, et le contemporain : les satellites et les images numériques. Le faire… parce qu’il reste sur ces rivages des humains dignes d’intérêt, parce qu’une question se pose sur ce territoire comme ailleurs : comment vivre notre relation à la nature ? »

Et Kub de conclure : « Plutôt que d’asséner des réponses, le cinéaste se contente de déployer son style : disposé à l’aventure, curieux des autres, attentif aux choses, un ton d’instituteur légèrement illuminé, candide et précieux.» Quel plus beau programme peut-on imaginer pour rencontrer le monde ? Gwendal Jaffry