En octobre dernier, Éric Feunteun, spécialiste de l’anguille européenne et responsable de la station marine du Muséum d’histoire naturelle à Dinard, publiait dans la revue Scientific Reports l’hypothèse selon laquelle les anguilles se reproduiraient au niveau de la dorsale atlantique, et non dans la mer des Sargasses, selon le scénario communément admis depuis un bon siècle.

L’étude se base sur l’examen à leur arrivée en Europe des anguilles juvéniles, ou « civelles », et plus particulièrement de leurs otolithes, des concrétions calcaires de l’oreille interne. Les analyses ont mis en évidence la présence de manganèse au centre des otolithes, la partie qui se forme aux premiers instants de vie de l’anguille. Ce métal ne se trouve pas dans les eaux de la mer des Sargasses, ce qui remettrait en cause le scénario selon lequel elles abriteraient la reproduction des anguilles. Le manganèse détecté pourrait provenir de la dorsale atlantique, « une zone par ailleurs propice à la reproduction : le front thermique y fait monter la température de l’eau, qui atteint 22 à 24 degrés Celsius, précise le biologiste. En situant la zone de ponte sur la dorsale, on peut aussi mieux comprendre le trajet des anguilles : une fois qu’elles ont dépassé les Açores, elles nagent en profondeur pendant la journée, pour se protéger des prédateurs sans aucun doute mais aussi, peut-être, dans le but de s’orienter en captant les odeurs volcaniques, repères qui les conduiraient le long de la dorsale. »

Associé au biologiste Katsumi Tsukamoto, de l’université de Tokyo qui a, lui, réussi à localiser de façon précise la zone de ponte de l’Anguilla japonica dans la mer des Mariannes, Éric Feunteun s’est ensuite adressé à des chercheurs de l’Agence japonaise des sciences maritimes pour modéliser les trajets des leptocéphales, anguilles au stade larvaire, depuis plusieurs lieux, dont la mer des Sargasses et la dorsale atlantique. « Nous avons pu constater que les leptocéphales parviennent mieux jusqu’aux rives européennes, lorsqu’elles partent de la dorsale que de la mer des Sargasses. » Éric Feunteun souhaite à présent monter une expédition sur la dorsale atlantique afin de confirmer ou d’infirmer son hypothèse, qui a été vivement critiquée par ses pairs, et refusée par certaines revues scientifiques.