vue aérienne du site de l'ile coton.

Les diagnostics préalables aux travaux de Voies navigables de France sur les épis de Loire ont révélé trois sites archéologiques importants, qui permettront d’en savoir plus sur l’activité économique ligérienne des XIIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

Au pied des monticules de sable créés par la pelle mécanique, le site archéologique de l’île Coton, sur la rive Sud de la Loire, près d’Ancenis, saisit le spectateur par la quantité d’épaves découvertes en un même endroit, et leur qualité de conservation. Ce sont en tout dix navires en bois à fond plat dont il reste toute la structure et une partie du bordé, couchés sur le flanc le long de deux enrochements de près de 50 mètres de long. Une découverte « exceptionnelle », selon les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP).

« Il y a six bateaux de ce côté du tas de sable et quatre sur l’enrochement situé plus près du lit de la Loire », nous indiquait l’archéologue Anne Hoyau-Berry, spécialiste de l’architecture navale de l’époque moderne, le jour de notre visite. « Certains sont construits à clins. En première estimation, ils dateraient du XVIIe ou du XVIIIe siècle, ce qui est très intéressant : nous connaissons bien les navires de charge ligériens du XIXe siècle, beaucoup moins ceux des époques plus anciennes. Les analyses dendrochronologiques préciseront cette datation, ainsi que l’origine géographique du chêne constituant les coques. »

Les bateaux, certainement en fin de vie, semblent tous avoir été remplis de pierre et coulés intentionnellement pour soutenir les enrochements – sauf dans un cas, où l’incertitude demeure. Cela confirme bien le fait qu’à l’époque, le site, aujourd’hui presque à sec en été, était bien immergé et que le lit de la Loire était beaucoup plus large.

Sur place, l’archéologue Anne Hoyau-Berry (à droite) et son équipe étudient la construction des bateaux retrouvés. © Denis Gliksman, Inrap

« Ces deux enrochements forment une sorte de grand V, pointant vers l’amont de la Loire, reprend Anne Hoyau-Berry. Il pourrait s’agir de constructions de protection, pour éviter par exemple que l’eau ne vienne inonder les terres agricoles. » Sauf qu’il y a sur le site un troisième enrochement, perpendiculaire au fleuve, remettant en question cette hypothèse. Il pourrait donc aussi s’agir d’un abri, peut-être d’un port, ou encore d’un système de contrôle du courant de la Loire pour l’irrigation.

Pour dégager le site et étudier les bois, la dizaine d’archéologues de l’INRAP déplacent à la chaîne les pierres pour dégager complètement la structure des épaves, du côté le plus éloigné du fleuve. Un grondement sourd provient de la machine pompant l’eau qui remonte par capillarité dans le sable et crée une grande mare dans laquelle baigne une partie des épaves. Quelques scientifiques arrosent les bois ou posent des serpillères humides sur certains morceaux afin qu’ils ne se dessèchent pas au soleil.

« Ici, nous menons des recherches les pieds dans l’eau, mais sur l’autre enrochement, du côté du lit de la Loire, il faut plonger, car les épaves se trouvent à quelques mètres de profondeur, ajoute l’archéologue Béranger Debrand. C’est une certaine logistique qui amène d’autres difficultés, notamment parce que l’eau est trouble. »

Les fouilles ont démarré le 15 août et se sont achevées début novembre : le site, comme c’est l’usage, a ensuite été entièrement remblayé pour lui rendre son état naturel. L’INRAP a donc dû jouer un peu contre le temps pour que Voies navigables de France (VNF) puisse ensuite se réapproprier les lieux. Car si l’institut a été sollicité, c’est dans le cadre des travaux de rééquilibrage de la Loire que VNF mène depuis 2021 (cm 324) : vingt-trois épis de navigation seront abaissés et raccourcis. Comme c’est l’usage avant tout aménagement, l’INRAP a réalisé une série de diagnostics archéologiques sur 250 hectares. Quelques quatre cent cinquante sites d’intérêt ont ainsi été identifiés et expertisés, et des fouilles ont été prescrites par la Direction régionale des affaires culturelles des Pays de la Loire dans le secteur de l’île Coton, ainsi que deux autres, un peu en amont, que nous décrit l’archéologue Yann Viau : « Près de l’île aux Moines, nous avons retrouvé deux empierrements en forme de demi-lunes, auxquels il est pour l’instant difficile de donner une fonction précise. Pour le troisième, près de l’île Poulas, en revanche, nous avons identifié trois pêcheries fixes et un site de bateaux-moulins, en cours de déblayage. D’après la datation au carbone 14 effectuée, il a été établi au XIIe siècle. »

Là, sur la rive gauche, non loin de Mauges-sur-Loire, une petite équipe de l’INRAP travaille sur deux zones complètement dégagées qu’on a marquées de petits piquets en bois et en plastique orange. Le sol est composé d’un limon argileux, « une caractéristique de l’endroit, car ni en amont, ni en aval, les études géomorphologiques n’ont identifié d’autres sols de ce type. » Et Yann Viau d’ajouter que ce serait peut-être pour cette raison que les pêcheries ont été installées là, à moins que le sol argileux ait assuré leur relativement bon état de conservation.

Les archéologues dégagent les épaves, bien conservées. Les bateaux, chargés de pierres et coulés intentionnellement pour soutenir les enrochements, constituent pour les archéologues des témoins exceptionnels, car peu d’exemples de navires ligériens antérieurs au XIXe siècle ont pu être étudiés. © Denis Gliksman, Inrap

« Le principe de ces pêcheries fixes est simple, et on retrouve des traces de ce type d’installation depuis l’Antiquité, dans de nombreux endroits en Europe : on place une nasse parallèle au courant et elle est maintenue en place grâce à deux ouvrages en clayonnage d’environ 3 mètres de haut. Ces constructions sont ici, comme souvent, associées à des enrochements permettant de dévier le courant et de faire affluer le poisson vers les nasses. »

Sur les trois sites, il ne reste aujourd’hui plus que les pieds des pieux qui maintenaient le clayonnage, voire simplement les traces de leur emplacement, que signalent les piquets en plastique. En se concentrant, on distingue plusieurs rangées de W : afin de pouvoir capturer à la fois des poissons d’avalaison et de montaison, comme des saumons ou des anguilles, les pêcheurs de l’époque plaçaient les nasses en quinconce, l’une ouverte dans le sens du courant et l’autre avec l’ouverture orientée vers l’amont. « Au vu de leur taille, ces pêcheries médiévales devaient relever d’une activité assez importante, poursuit Yann Viau. Quant au quatrième site, nous avons retrouvé des digues et des traces des plateformes auxquelles les bateaux-moulins étaient amarrés. Les meuneries et les pêcheries étaient souvent associées, ce qui entraînait parfois quelques tensions entre meuniers et pêcheurs pour l’occupation du lit du fleuve. » Toutes ces installations indiquent par ailleurs que le cours de la Loire se développait à cet endroit plus au Sud au Moyen Âge : le site actuel était situé sur la rive droite à l’époque.

« À présent, les questions qu’on se pose sont : à qui appartenaient ces pêcheries ? Au seigneur local, de Liré par exemple, ou à l’Église, l’abbaye de Saint-Florent-le-Vieil n’étant pas loin ? » Une plongée dans les archives attend donc les archéologues de l’INRAP pour replacer ces fouilles dans leur contexte historique, autant sur le site de l’île Poulas que sur celui de l’île Coton. Maud Lénée-Corrèze