Les films de mer dont le per­sonnage principal est une femme sont rares. Dans le magnifique « Fidelio », l’odyssée d’Alice (2014) de Lucie Borteleau, Ariane Labed incarne une officière mécanicienne qui cherche son «port d’attache », entre Melvil Poupaud et Anders Danielsen Lie. À bord d’un cargo hors d’âge, Alice répare les machines et tente de concilier sa vie de femme et son métier de marin. 

Dans Polaris (2022), de la réa­lisatrice espagnole Ainara Vera, c’est également auprès d’un mo­ teur récalcitrant que le spectateur fait la connaissance d’Hayat. Éclairée par une lampe frontale, outils en main, la jeune femme s’emporte contre la mécanique qui lui résiste. 

Hayat Mokhenache est marin en Arctique depuis plusieurs an­nées. La réalisatrice l’a rencontrée lors d’une traversée entre le Portugal et le Groenland, pendant le tournage d’Aquarela (2018), de Victor Kossakovsky. On y voit Hayat tenant fermement la barre, dans des conditions météorolo­giques difficiles. Rien de tout cela dans Polaris, où les rares images tournées en mer montrent quelques manœuvres sur une mer de glace. Les paysages du Groen­ land et de l’Islande sont magnifiquement filmés par le réalisateur et chef opérateur groenlandais Inuk Silis Høegh, avec lequel Ainara Vera a travaillé. 

Polaris n’est pas un documen­ taire sur les voiliers qui pro­posent des croisières dans les mers froides, mais le portrait croisé de deux sœurs,Hayat et sa cadette Leila, abandonnées très jeunes par leurs parents. Des chants traditionnels occitans connectent les espaces de vie de Hayat et Leila, qui se parlent longuement par téléphone. La naissance de la fille de Leila bou­leverse les deux femmes et nous laisse entrevoir les raisons pour lesquelles Hayat a choisi le mé­ tier de marin –pour fuir un envi­ronnement familial difficile. Cette vie sans port d’attache réel ou symbolique se voit perturbée par l’arrivée d’une nièce qu’elle ne veut pas aller voir. La réalisa­trice l’accompagnera dans ce voyage, aussi périlleux qu’une traversée dans l’Arctique. 

En voix offHayat s’interroge sur ses relations avec les hommes, quasiment absents du film. Entre deux embarquements, elle vit seule, dans un bateau ou une tente de camping. Le contraste entre une intimité fragile et l’image d’une femme forte, ca­pable de mener un navire et un équipage, est au cœur du film, à la frontière du documentaire et de la fiction. 

 

Le film Polaris d’Ainara Vera (1 heure 18) sortira en salles le 8 mars 2023. Il a été présenté par l’acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) au Festival de Cannes 2022, et sera notamment projeté au 44e festival du cinéma de Douarnenez, du 20 au 27 août.