Il y a un peu du lancement d’un navire dans cette nouvelle formule du Chasse-Marée dont vous découvrez ici la quatrième livraison… Une construction dont nous avons conçu les plans jusque dans les moindres détails, fort d’un programme riche et bien défini, et pourtant, ce n’est qu’au moment de lui faire tirer ses premiers bords qu’on découvre son vrai potentiel. Et, au vu de vos retours, il semblerait finalement qu’il soi bien né ce petit navire qui nous, en tout cas, nous régale au quotidien – même si nous demeurons toujours attentifs à chacune de vos remarques pour tenter de faire toujours mieux, sans laisser personne sur le quai.

Nous pouvons ainsi aborder des thématiques que nous n’avions pas traitées jusqu’alors, et sous une nouvelle forme. Dans les pages qui suivent par exemple, l’interview de Sylvain Roche nous fait appréhender le vaste sujet des énergies marines renouvelables (EMR), comme une introduction à un univers pour poser les bases d’une réflexion qui nous permettra, plus tard, de revenir bien armé pour en aborder plus en détail les aspects techniques, écologiques, ou la question de sa coexistence avec les autres activités maritimes… Ce sont aussi les pages consacrées aux sciences et techniques qui innovent, avec cette immersion dans les biomatériaux grâce à la rencontre de Christophe Baley, enseignant-chercheur qui nous embarque dans une véritable redécouverte de plantes dont il révèle les capacités remarquables… Alors, « Le Chasse-Marée, la revue de l’agri-culture maritime » ? Forcément, on s’en est un peu amusés, mais c’était sans compter sur une découverte encore plus étonnante…

Hatakeyama Shigeatsu, vous connaissez ? Rassurez-vous, nous non plus… Enfin, jusqu’à ce qu’Alain Le Sann (CM 300) nous en parle, enthousiaste comme à son habitude, nous invitant à voir un film (The Fisherman and the Forest, disponible sur la plateforme Dailymotion) qui lui a été consacré et à lire deux articles – dont un de sa plume – sur le passionnant site Internet du collectif Pêche et développement (<peche-dev.org>).

Hatakeyama Shigeatsu est ostréiculteur au Japon. En 1989, une marée rouge contaminant sa production d’huîtres, il s’aperçoit que les microalgues toxiques se sont nourries de la pollution de la rivière voisine… Mais il remarque aussi que, non seulement les feuilles des arbres de la forêt qui borde cette rivière filtrent les eaux pluviales, mais que leur décomposition et les nutriments qu’elle génère rejoignent la mer grâce au cours d’eau… et permettent le développement des huîtres. « Hatakeyama Shigeatsu comprend que l’écosystème ne peut être compris que dans sa globalité, écrit Alain Le Sann. Il faut de l’humus pour nourrir les huîtres, parce que l’humus contient du fer et des sels minéraux qui rendent possible la photosynthèse, donc le développement du phytoplancton dont l’huître se nourrit. » Dès lors, l’ostréiculteur propose aux communautés vivant autour du bassin versant de planter une forêt de feuillus. Petit à petit, la qualité des eaux s’améliore. Et la culture d’huîtres peut reprendre. « Vingt-cinq ans plus tard, conclut Alain Le Sann, trente mille arbres ont été plantés sur les berges de la rivière, des programmes sont menés pour supprimer les pesticides dans les cultures et réguler le ruissellement des eaux. L’expérience figure aujourd’hui dans les programmes scolaires du Japon. Chaque année, dix mille enfants sont invités sur place pour planter des arbres et prendre conscience du lien entre l’activité humaine, l’eau des rivières, le sol, la forêt et la mer. »

En partant du lin pour construire les bateaux de demain – sans oublier la tradition de la construction en « bois d’arbre » –, nous avons découvert l’importance de l’humus pour une ostréiculture de qualité… Surtout, quelle fantastique richesse que ces rencontres qui nous permettent cette compréhension, ces rencontres qui nous incitent à ouvrir les yeux et prendre le temps de la réflexion dans ce monde qui s’agite toujours plus et souvent trop vite pour construire durablement.