Depuis des années, la capacité d’accueil des ports de plaisance français demeure un étonnant sujet où les phantasmes le disputent aux légendes. Alors qu’au tournant du siècle on riait (jaune) de se retrouver trois cent cinquante troisième sur une liste d’attente dont on ne connaissait ni la longueur ni l’algorithme, on a bientôt entendu dire que certains ports se vidaient… Y aurait-il enfin de la place ? Aujourd’hui, pourtant, il est toujours bien difficile de se faire une idée précise sur ce sujet, les données variant fortement selon les sources…

En revanche, chacun d’entre nous, plaisancier ou simple arpenteur de quais, ne peut que constater, au quotidien, que les ports sont en effet très remplis, même quand les plus belles conditions de navigation sont réunies. Chacun peut ainsi témoigner de ces innombrables navires qu’on ne voit jamais quitter leur place, dont ces « bateaux ventouses » qui semblent convertis en supports expérimentaux de culture hors-sol.

Cet automne, on a assisté à une véritable levée de boucliers populaire face au projet de port de Brétignolles-sur-Mer, en Vendée, qui consiste à créer ex nihilo un équipement de plus de neuf cents anneaux en creusant dans les terres. Le 6 octobre, plus de deux mille personnes ont ainsi manifesté sur le site de la Normandelière, soutenues notamment par le député – et skipper – Jimmy Pahun. Concernant ce projet, les « pour » font miroiter, entre autres, la perspective de création d’emplois, les revenus générés, une réponse aux longues listes d’attente pour des places de port en Vendée, et jusqu’à la lutte contre l’érosion grâce aux digues à venir. Les « contre » redoutent notamment la destruction de la dune et d’une zone humide, la pollution, et dénoncent un projet à rebours de l’évolution des pratiques de la plaisance qui tend vers l’« économie de l’usage ».

Comment, en 2019, alors qu’on sait la très faible utilisation des navires de plaisance et qu’on ne cesse de sensibiliser aux terribles conséquences de la surconsommation, peut-on se lancer encore dans de tels projets, dignes « d’un autre âge », pour citer Jimmy Pahun ? Comment, aujourd’hui, peut-on envisager encore de saccager le littoral, cette côte qui devrait pourtant constituer un des attraits de la plaisance ? Plutôt que de créer encore et encore des places de port, à quand une véritable réflexion pour récupérer les anneaux squattés par les bateaux délaissés et les attribuer aux bateaux actifs ? À quand la généralisation des règlements portuaires qui favorisent l’usage, par exemple avec des tarifs inversement proportionnés au nombre de jours de mer, ce qui libère des places pour les visiteurs, et réduit les besoins ?  Gwendal Jaffry