Ça a commencé à Venise, au XVe siècle, avec une poignée d’humanistes qu’intriguaient les descriptions des techniques de nage à bord des galères antiques… Ces précurseurs de l’archéologie
navale appliquent, pour la première fois, les méthodes « géométriques » de leur temps à ces questions. La réflexion archéologique naît ainsi de concert avec la « théorie du navire », en une ville où la construction navale a été rationalisée à l’extrême.

Une affaire de matheux, d’ingénieurs, donc, a priori… mais qui vont devoir sortir de leurs cabinets d’étude et faire appel à quelques marins, comme Barras de la Penne (1674-1730), le père fondateur de la discipline, érudit, savant et capitaine de galères, de ces « gens de métier qui connoissent les galeres par pratique et par theorie »… Les historiens, les archéologues ne viendront qu’ensuite, à commencer par Augustin Jal et ses disciples, étudiant les navires du Moyen Âge avec une approche renouvelée par les progrès de l’historiographie et de l’archéologie romantiques.

L’amiral François-Edmond Pâris (1806-1893) pose les bases d’une étude systématique des navires du monde entier, ouvrant la voie à l’ethnographie nautique. Au XXe siècle, en même temps que les plongeurs, sportifs et savants, multiplient les découvertes et bouleversent leur exploitation, les archéologues, charpentiers et navigateurs scandinaves renouvellent la discipline avec leur culture de l’expérimentation, de la « tradition vivante ». Le domaine de l’archéologie navale s’ouvre pour balayer, comme l’oeil d’un poisson, tout ce qui l’entoure…

Au fil du récit brillant d’Éric Rieth, l’archéologie navale apparaît dans sa richesse et sa maturité, celle d’une discipline « capable de se pencher sur son propre passé pour retracer son histoire », et qui déploie son vaste champ d’études au coeur des sciences humaines. Science, technique, économie, société et culture… le grand architecte et archéologue naval Ole Crumlin-Pedersen, cité par Éric Rieth, le rappelait : pour qui sait les faire parler, les navires disent tout sur le monde dont ils sont issus, et c’est pourquoi « les bateaux sont bien trop importants pour qu’on les laisse aux seuls archéologues. »

Pour une histoire de l’archéologie navale – les bateaux et l’histoire, Éric Rieth. Classiques Garnier, 432 p., 36 €.