Il est des combats qu’on aimerait ne plus avoir à mener. En 1978 paraissait le premier volume d’Ar Vag, une somme documentaire qui s’inscrivait dans la lignée du Petit Perroquet. C’est ce qui a donné le la d’un mouvement pour le patrimoine maritime. Celui qui a porté la naissance à Douarnenez d’une association exceptionnelle, Treizour, du Chasse-Marée, de la Fédération régionale du patrimoine et de la culture maritimes de Bretagne, des fêtes maritimes…, et du Port-Musée.

Ne revenons pas sur les affres de la gestation de ce dernier. Le Port-Musée actuel a mûri. Il s’est fait reconnaître. Son réseau de collaborations s’étend de la Norvège à l’Australie du Sud. Il produit des expositions et des publications qui sont reconnues. Récemment, une doctorante chinoise est venue en stage d’observation au Port-Musée, sur les conseils de sa tutrice à l’université de Southampton. À cette occasion, elle a découvert les chantiers navals, les Ateliers de l’Enfer, Le Chasse-Marée, et tout un écosystème… Le patrimoine maritime est un levier sur le territoire douarneniste, comme dans tous les ports.

Penser local, réfléchir global. C’est bien là ce qui est mené. Revenons sur les dernières années : des expositions sur les routes maritimes (De Fjords en Abers, Dans le sillage de Sindbad), sur le rapport entre la terre et la mer (Fibres marines), sur les échanges internationaux (The Box, la mondialisation a un corps d’acier) mais aussi sur une histoire locale dont les rhizomes lointains et historiques ont été explorés (Georges Bertré, ou encore Bistro, l’autre abri du marin). La mise en valeur de la culture ouvrière, des charpentiers, des systèmes techniques (Mémoires en chantiers, ArtBalise) est constante. C’est ce qui a amené le musée à s’orienter vers la photographie sociale, laquelle n’est pas contradictoire avec une exigence artistique de très haut niveau (Michel Thersiquel, Félix Le Garrec, Stéphane Lavoué, Nedjma Berder, Gildas Hémon, Erwan Dimey…)

Ses collections ? Elles sont uniques en France : 280 navires de toutes tailles et de toutes origines, beaucoup de bateaux de travail, à l’architecture vernaculaire, issus de siècles, voire de millénaires d’évolution des sociétés maritimes ; près de 10 000 objets conservés ; plus de 60 000 photographies numérisées, reconditionnées, documentées. La grande majorité est évidemment conservée dans des réserves. Certaines parfaitement gérées, et d’autres qu’il est scandaleux de laisser délaissées par une absence de considération de la puissance publique. Est-ce la faute d’une collectivité de  14 500 habitants, qui porte une collection de référence nationale, reconnue comme telle, en France et dans le monde ? Étudiants et architectes en devenir (photo ci-dessous) y trouvent une matière incommensurable pour leurs travaux en devenir, portant aussi des projets d’études, d’analyse et de numérisation de très haut niveau. Le Port-Musée, c’est aussi une expertise technique reconnue internationalement, en charpenterie, en bois, et sur d’autres compétences.

Près de 50 000 visiteurs découvrent ou redécouvrent chaque année un univers maritime populaire, quotidien, technique et social, en visitant les espaces du musée et les navires à flot. Comme une porte d’entrée vers une compréhension et une pratique de la mer ou des littoraux qui se veut respectueuse des environnements naturels et sociaux. Les plus convaincus peuvent ensuite s’orienter vers des navigations abordables par le milieu associatif, les plus audacieux s’y investir, les plus sensibles réfléchir et s’inspirer de ces approches diversifiées. Pour comprendre un territoire marin, tout simplement, et l’interpréter.

Alors que penser des musiques distillées çà et là qui annoncent un désengagement d’un partenaire historique de l’établissement ? Que penser de l’absence d’un soutien constant de collectivités publiques plus importantes ?

Certes, nos collections constituent un patrimoine biodégradable, qu’il faut entretenir de manière cyclique. Puissant en apparence, fragile dans son essence, il est à l’image du corps humain et de la nature.

Le Port-Musée c’est aussi cette volonté de diffuser la culture maritime sous toutes ses formes. De travailler en synergie avec le  territoire et le tissu associatif, et en support, comme le montrent ses récentes publications ; d’offrir au plus large public une lecture sensible de ses collections à travers la musique, la poésie, la littérature, les langues.

Avons-nous démérité ?

Kelig-Yann Cotto, conservateur en chef du Port-Musée de Douarnenez