Le vendredi 23 avril 2021 à l’écoute de la radio, une information rapidement énoncée parmi de nombreuses autres plus largement développées attire mon attention : « L’ONG SOS Méditerranée a indiqué jeudi
avoir repéré au large de la Libye une dizaine de corps près d’un bateau pneumatique retourné qui avait été signalé en détresse avec environ 130 personnes à bord. »

Voici quelques extraits du communiqué publié la veille par l’agence France Presse (AFP) : « par une mer très agitée, avec des vagues atteignant 6 mètres », « trois cadavres ont été repérés dans l’eau par le navire marchand My Rose ». « Il n’y a plus d’espoir de retrouver des survivants », a précisé à l’AFP Emmanuelle Chaze, une journaliste française embarquée sur le navire humanitaire. « Si le bateau a chaviré la nuit dernière dans les conditions météorologiques qu’il y a eu, c’est impossible que quelqu’un ait survécu. On a croisé beaucoup de cadavres », a-t-elle ajouté.

Autant de mots qui font frémir tout particulièrement les marins, qu’ils soient travailleurs de la mer ou marins du dimanche, d’autant plus que ce drame fait suite à de nombreux autres.

On pourrait se livrer au décompte macabre qui émerge parfois – rarement – dans l’océan des nouvelles. Mais ce n’est ni l’apitoiement ni la statistique qui m’interpellent, c’est bien le peu de place laissée à ce type d’information. Il ne me semble pas qu’il y ait eu un véritable emballement médiatique pour relayer et commenter ce naufrage. J’invite les lecteurs de ces quelques lignes à faire le test autour d’eux : « Qui a entendu parler des 130 personnes décédées lors du naufrage de leur pneumatique dans la tempête ? » Oui, France 2 a évoqué l’événement pendant 15 secondes au journal de 20 heures, Le Monde du 24 avril a analysé le rapport de l’ONG Alarm Phone qui a reçu l’appel de détresse, le pape n’a pas hésité à dire que « nous devrions avoir honte », évoquant ces 130 personnes qui pendant deux jours ont demandé de l’aide en vain, disant aussi que chacun pourrait se questionner sur cette n-ième tragédie. Et sans doute, je l’espère du moins, d’autres médias ont-ils relayé ce communiqué. Chacun peut réagir comme il l’entend à ce questionnement : s’apitoyer, s’indigner, accuser, se lamenter, se détourner, militer, voter…

On peut rendre responsables les « passeurs » qui osent embarquer une centaine de personnes sur un radeau pneumatique, les instances européennes qui préfèrent payer les gardes-côtes libyens afin de limiter l’immigration, déplorer qu’il n’y ait pas plus de navires tels que celui affrété par SOS Méditerranée… Face à notre impuissance, est-ce que le préalable n’est pas d’informer, informer, informer ?

Pourquoi Le Chasse-Marée, « la revue du monde maritime », qui sait prendre un sujet à bras-le-corps et offrir l’occasion d’aller plus loin, ne proposerait-il pas à ses lecteurs cet article qui permettrait d’aborder la question dans sa dimension actuelle ? Un tel article trouverait une place dans notre revue. Le principe de la solidarité en mer ne saurait être dévoyé et si nous jugeons opportun que des moyens de sauvetage soient déployés pour des véliplanchistes en perdition, nous devrions penser qu’il en est de même pour des personnes fuyant leur pays et se noyant aux frontières de celui-ci. Nous ne pouvons continuer de tenter d’ignorer le fait que la Méditerranée qui baigne nos côtes soit aussi meurtrière.

« Des bateaux et des hommes »… ces rafiots ne sont pas vraiment des bateaux, ces hommes (qui sont aussi des femmes et des enfants) ne sont pas des marins, ils sont néanmoins otages de la forme la plus odieuse prise par la mondialisation contemporaine, quoique l’humanité ait de tout temps pris la mer pour explorer des territoires, échanger des marchandises et… émigrer !

Isabelle Glavany-Godet, Trégunc (29)