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Le festival international Jean Rouch consacre cette année plusieurs séances à la mer. Une carte blanche sera accordée au photographe et cinéaste Jean Gaumy, pendant laquelle il évoquera les films « maritimes » qui l’ont inspiré, dont L’Homme d’Aran (1934) de Robert Flaherty et Pour la suite du monde (1962) de Michel Brault et Pierre Perrault. Dans ce film culte du cinéma direct, les documentaristes québécois demandent aux habitants de l’Isle aux Coudres, sur le fleuve Saint-Laurent, de reconstituer une pêche au marsouin, abandonnée depuis les années 1920. Dans le sillage de Flaherty, Brault et Perrault, deux films en sélection évoquent la relation que des populations littorales entretiennent avec les mammifères marins. Le point de départ du film de Jérémie Brugidou et Fabien Clouette, Le Feu de la Baleine, est l’échouement de cétacés dans le Finistère. Les réalisateurs suivent les agents du Parc marin de l’Iroise qui doivent enlever les cadavres. Leur lugubre ballet en combinaison blanche et masque de protection émeut les riverains pour qui ces animaux semblent sacrés.

Dans d’autres régions du monde, la chasse est toujours pratiquée, par exemple dans le détroit de Béring. Du côté russe, les Tchouktches, un peuple autochtone, chassent la baleine grise, dépecée collectivement dans un bain de sang. Un jeune garçon, Koka, héros du second film lié à la mer du festival, participe au rituel avec son père, oublie son couteau (une fâcheuse habitude), se bagarre, fume des cigarettes avec ses amis… Le spectateur s’attache au personnage dont on apprend qu’il a perdu sa mère et souffre d’une malformation cardiaque. La scène finale, une rentrée des classes en uniforme, marque la fin des vacances et de l’apprentissage auprès de son père.

Le réalisateur biélorusse Aliaksandr Tsymbaliuk, formé à l’école de cinéma de Lodz, a sans doute rencontré ses personnages pendant le tournage du Chasseur de baleines (2021) de Philippe Youriev dont il était l’assistant. Cette fiction raconte l’idylle entre un adolescent tchouktche et une Américaine rencontrée sur Internet. Dans Koka, le cinéaste filme avec pudeur la relation entre un père et son fils pour qui tuer des baleines fait partie d’un mode de vie, celui d’un peuple opprimé du temps de l’Union soviétique. Y a-t-il moins d’empathie pour la baleine en Sibérie qu’en Bretagne, ou bien un rapport à la « nature » différent entre Occidentaux et peuples autochtones ? En sélectionnant indépendamment ces deux films, le festival ouvre le débat.  Vincent Guigueno

Publié dans Le Chasse-Marée 344 – Avril-Mai 2025