© Angry Inuk

Renouant avec ses programmations fondatrices de la fin des années 1970, le festival de Douarnenez a invité cette année les Premières Nations d’Amérique du Nord. Si la filmographie des « first nations » est aujourd’hui plus étoffée qu’à l’époque, les luttes contre toutes les formes d’oppression restent centrales dans la production des auteurs amérindiens. Ce domaine de la lutte s’étend naturellement aux espaces fluviaux et maritimes, car la pêche et la chasse ont été au cœur de nombreux conflits. Avec Angry Inuk (2016), Alethea Arnaquq-Baril, née en 1978, s’inscrit dans la continuité des combats politiques et cinématographiques de ses aînés, par exemple Alanis Obomsawin, présente lors de la deuxième édition du festival, en 1979. La réalisatrice s’attaque à un sujet controversé, la chasse aux phoques, et met en scène dans les premières images la mise à mort et le dépeçage d’un mammifère marin. Filmant le sang répandu sur la neige, puis le repas partagé par la communauté de Kimmirut (province du Nunavut, dans les territoires de l’Arctique canadien), elle assume la place centrale de l’animal dans la vie de sa nation, les Inuits, qui s’en nourrissent, s’en vêtissent et en font commerce. Tourné entre 2008 et 2015, le film raconte leur combat contre des lois qui les plongent dans une grande précarité. Un flash-back rappelle les actions médiatiques menées dans les années 1980 pour obtenir l’interdiction de la fourrure de blanchons dans l’Union européenne. Cette mesure conduisit à l’effondrement du marché de la peau de phoque, et à une « grande dépression » parmi les Inuits.
Un quart de siècle plus tard, l’histoire se répète avec un projet bannissant tout commerce des produits dérivés du phoque. Alethea Arnaquq-Baril et ses amis, dont la charismatique Aaja, activiste, juriste et styliste de vêtements en peau de phoque, se rendent au parlement européen pour constater que leur cause semble perdue face à l’intense lobbying des ong environnementales. L’ambition de la réalisatrice est de décentrer le point de vue occidental, qui croit être respectueux des Inuits en leur accordant une « exemption » pour pratiquer une chasse de subsistance. Mais ce peuple dépend du marché global des peaux de phoque, qui s’est écroulé avec les lois votées par des parlementaires ignorant leur mode de vie. D’émouvantes archives montrent un rituel d’apaisement des tensions au sein de la communauté, fondé sur le chant et la rythmique du tambour traditionnel, le kilaut. La réalisatrice se demande comment « une culture qui vit sa colère en douceur » peut être écoutée dans le tumulte des polémiques ? Les Inuits recourent aux voies légales, mais aussi aux réseaux sociaux, en créant le #Sealfie pour interpeller les personnalités qui soutiennent les ong opposées à la chasse aux phoques. Grâce à des réalisatrices comme Alethea Arnaquq-Baril, qui produit ses films à Iqualuit, la capitale du Nunavut, le cinéma documentaire occupe toujours une place prépondérante dans les luttes des Premières Nations amérindiennes. ◼ Vincent Guigueno

Le film peut être commandé ici.