©G. Broudic–Musée de la Compagnie des Indes–Ville de Lorient

Le nouveau dépôt du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), qui vient enrichir les collections du musée de la Compagnie des Indes, fait l’objet d’une très intéressante exposition à Port-Louis, près de Lorient.

Boucles de ceintures et de chaussures, gobelet en étain, pipe à opium, crucifix miniature en bronze, porcelaines aux fins motifs bleus sur fond blanc… ou authentiques lingots d’or – « Attention, vitrine sous surveillance » ! Tous ces objets proviennent de l’épave du Prince de Conty, un vaisseau dont l’histoire pourrait fournir la matière de plusieurs romans d’aventure…

Construit en 1743 dans les chantiers de la Compagnie des Indes à Lorient, ce navire appareille avec l’Aimable et le Philibert pour la Chine le 2 avril 1745. Les trois bâtiments, commandés par des capitaines expérimentés, sont armés de trente-huit canons et jaugent 600 tonneaux. Nicolas de Fremery, le capitaine du Philibert, qui a déjà trois voyages en Chine à son actif, est nommé chef de l’escadre.

Après une escale au Cap-Vert pour faire des vivres et de l’eau, les trois vaisseaux passent le cap de Bonne-Espérance au début de l’hiver austral où ils subissent du gros temps ; le Prince de Conty, perdu de vue, ne sera retrouvé qu’un mois et demi plus tard à l’île Cantaye, entre Java et Sumatra, où les navires relâchent avec plusieurs hommes malades du scorbut. Louvoyant pour éviter les corsaires anglais dans la rivière des Perles, ils parviennent enfin dans la rade de Whampoa, près de Canton, le 16 septembre 1745, après cinq mois et dix jours de voyage, ayant à déplorer au moins trente et un décès et trois désertions.

Si les journaux de bord sont discrets sur les marchandises livrées à bord par les sampans – notamment les lingots d’or, souvent achetés à titre personnel par les officiers –, l’escadre repart de Chine le 12 décembre. Quatre mois plus tard, après avoir relâché aux Mascareignes, le Prince de Conty et l’Aimable sont attaqués par deux corsaires anglais dans les parages de Fernando de Noronha au Brésil. Les deux navires livrent un combat victorieux avant de retrouver peu après le Philibert sur l’île de la Grenade. Le retour vers la France est marqué par du mauvais temps, qui cause de nombreuses avaries. Aux abords de Belle-Île, l’escadre est à nouveau prise dans un coup de tabac. Le Prince de Conty, vingt mois après son appareillage, se brise sur les rochers au sud-est de l’île avant de sombrer dans la nuit du 2 au 3 décembre : sur les 229 hommes du bord, on ne dénombre que 65 survivants. Charles Bréart de Boisanger, le capitaine, n’en fait pas partie.

Dès décembre 1746 et en 1747, la Compagnie des Indes tente de sauver l’or enfermé dans l’épave, la cargaison de porcelaines, thé, café et soierie étant gâchée par le naufrage et l’eau de mer. Mais malgré les moyens importants mis en œuvre, dont une cloche à plongeur, les recherches sont vaines.

L’épave, qui repose par 5 à 12 mètres de fond, est retrouvée en 1974 et… pillée après la découverte d’un lingot d’or. Michel L’Hour, pour le DRASSM, estime qu’entre cinquante et cent « petits pains » d’or auraient été repêchés illégalement entre 1974 et 1976. En 2018, cinq d’entre eux ont été saisis aux États-Unis, et trois sont toujours dans les collections du British Museum, auquel ils ont été vendus par un pilleur de l’épave, toujours poursuivi par la Justice. Lors de son expertise par le DRASSM, l’épave a restitué en 1985 trois lingots chinois, et des centaines de tessons de porcelaine, ainsi que les nombreux artefacts liés à la vie du bord, présentés au musée de la Compagnie des Indes.

Cette exposition, qui prend place parmi les autres salles aux fantastiques collections du musée, rappelle que si l’Orient a suscité des fortunes tangibles, il a aussi été source de bien des infortunes. Brigitte Nicolas, conservatrice en chef du patrimoine, qui a dirigé l’ouvrage passionnant qui accompagne l’exposition, ne manque pas de souligner « la bravoure et l’abnégation de ces hommes, très jeunes pour la plupart (…). Qui oserait encore embarquer pour un tel périple sans les moyens modernes de navigation, à bord d’un coffre-fort flottant, exposé aux menaces de la mer avec l’ennemi aux trousses ? »

Nathalie Couilloud

Publié dans Le Chasse-Marée 341 – Octobre-Novembre 2024

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