Le choix des bois

 

par Philippe Urvois – le choix d’un bois découle des propriétés de son essence et de l’usage qui va en être fait. Il s’agit toujours d’un compromis…

 

«On ne choisit un bois ni par hasard ni par caprice », explique Yves Tanguy, responsable du chantier naval douarneniste qui porte son nom. Ce sont, en effet, les contraintes que va subir le matériau – l’usage auquel il est destiné – et les caractéristiques liées à son essence qui vont d’abord guider le charpentier. Il s’agit toujours d’un compromis : « Les annexes sardinières, par exemple, devaient être légères pour être embarquées à bord des pinasses, poursuit-il. Le bordé était donc en pin. Il n’avait qu’une durée de vie de cinq ou six ans, mais qu’importe ! les anciens fabriquaient ces canots en série. »

Pour un caseyeur basé dans un port d’échouage, la problématique est différente. « Sa coque doit résister à de fortes contraintes mécaniques, résume Yves Tanguy. On privilégie alors un bordé en chêne, très résistant sans pour autant être trop lourd. »

Concernant les bateaux de loisir, le choix des essences n’obéit pas aux mêmes considérations. « Pour un croiseur, reprend Yves Tanguy, on choisira un bois stable, qui travaille peu et qui ait une certaine noblesse, comme l’acajou. En revanche, pour la coque d’un bateau de régate, les bois sont sélectionnés en fonction de leur raideur et de leur légèreté. Quant aux espars, ils requièrent un bois souple résistant à la flexion, comme le spruce, un épicéa à fil très droit. »

Et les emménagements ? « C’est souvent de l’acajou, mais le choix est très libre. On peut même réaliser un intérieur en ronce de noyer ou en pommier, à condition de bien le protéger. »

Bois durs, résineux ou exotiques

Les constructeurs travaillent, souvent, avec une petite dizaine d’essences qui ne perdent leurs qualités ni dans l’eau de mer ni avec le temps. Parmi les bois durs d’Europe, le chêne est roi. Résistant à la compression, à la traction, mais peu à la flexion, il a une bonne tenue à l’abrasion. Il est donc très utilisé pour le bordé et la charpente. L’acacia – ou le faux acacia –, très dur, sert à faire les membrures ployées ou les serres. « La raison, explique Yves Tanguy, c’est qu’avec ses fibres longues, il est très flexible à la mise en œuvre. Mais il a un défaut : il devient cassant avec le temps. » Christoph Eberhardt, responsable du chantier Pleine Mer, à Douarnenez, lui en connaît un autre : « L’absence de grosses billes, qui limite son utilisation. Mais, ajoute-t-il, l’acacia peut aussi servir pour des petites pièces d’accastillage, pour les barres ou les barrots. À résistance égale, on peut l’utiliser en plus faibles sections que le chêne. »

L’orme a parfois servi pour les quilles, galbord et étraves. Son intérêt est qu’il ne contient pas, comme le chêne, de tanin, ennemi de l’acier. « Mais il n’aime pas avoir la tête au soleil et les pieds dans l’eau », remarque Yves Tanguy. Châtaignier, aulne et frêne pourrissant au contact de l’eau douce, ces essences ne sont guère utilisées…

Les résineux constituent une autre famille où se retrouvent notamment le mélèze, le pitchpin, le pin d’Oregon ou le pin sylvestre. Ces bois, moins durs que ceux des feuillus, sont caractérisés par de longues fibres, par leur légèreté et leur flexibilité. Ils sont employés pour les bordages, les serres, les emménagements, ainsi que pour les espars. « Pour les lattes de pont, ils sont aussi intéressants car ils regonflent vite après avoir séché », note Christoph Eberhardt.

De haut en bas : pin sylvestre (Europe), pin maritime (Europe), pin de Caroline (Amérique du Nord), chêne (Europe), acajou (Afrique)
et teck (Asie).

L’usage des essences tropicales est surtout répandu en plaisance, leur grain fin et leur couleur chaude ayant un rendu très flatteur une fois vernies. Les tecks (pour les ponts) et les acajous (pour les bordages et emménagements) sont les plus connus. Leur qualité est cependant très variable. Le teck de Birmanie est réputé pour sa dureté, son imputrescibilité et sa stabilité, de même que l’acajou des Philippines ou du Honduras. Le Grand Bassam, acajou d’Afrique, est également prisé. Mais ces bois sont désormais rares et chers, la mode de certaines essences ayant conduit à leur surexploitation. « Pour un petit chantier comme le nôtre, mentionne à ce sujet Christoph Eberhardt, le bois d’importation représente moins de 10 % de notre consommation, mais j’essaie de privilégier les variétés exploitées durablement. »

Peut-on remplacer une essence par une autre dans le cadre d’une réparation ? « C’est possible, à condition qu’elles aient des caractéristiques voisines », répond Yves Tanguy. « Il faut d’abord connaître l’origine de la dégradation, complète Christoph Eberhardt. Savoir si elle vient du choix de l’essence, d’un problème de mise en œuvre ou d’un manque d’entretien. »
Le choix de l’essence étant fait, les constructeurs s’intéressent ensuite à la qualité des plateaux de bois, qu’ils achètent généralement en grumes à des négociants spécialisés. « Pour les constructeurs amateurs, c’est assez problématique ; chacun se débrouille comme il peut », constate François Vivier, un architecte qui propose des bateaux inspirés de la tradition sous forme de kits.

Sur chaque grume, les charpentiers vérifient d’abord l’absence de défauts (nœuds, gerces, moisissures, etc.). La façon dont la grume est découpée joue aussi sur la qualité du bois : elle n’est pas forcément exploitable dans sa totalité. Sur les pièces débitées « radialement », les anneaux de croissance sont réguliers et parallèles. Elles sont donc particulièrement recherchées par les constructeurs. Lorsque le débit est « tangentiel » – ce qui produit sur les bois un aspect flammé –, les pièces ne sont pas utilisables pour un bordé car elles se déforment trop.

Fil droit, fil tors et grain

Le fil du bois, c’est-à-dire l’orientation de ses fibres, est, d’autre part, lié à la forme de l’arbre. Un fil droit et régulier permet par exemple de faire des bordages et barrots, tandis qu’un fil tors sera utilisé pour des membrures sciées ou des varangues.

Satisfait de l’essence et du fil de la pièce de bois qu’il a sélectionnée, le charpentier observe enfin, le grain du bois : il vérifie que les anneaux de croissance de l’arbre sont bien serrés, car il se dilatera moins. C’est pour cette raison qu’un pin sylvestre est souvent préféré à un pin maritime qui a poussé dans des conditions plus favorables. Et c’est ainsi que l’histoire des arbres conditionne un peu celle des bateaux.